Juanita, Fibromyalgie : 1re langue

Juanita Podcast

C’est par le bouche à oreille que Juanita nous a contactés. Nous avons tout de suite été touchés par son profil : un cocktail haut en couleur mêlant un fort tempérament à une intense délicatesse. Apprendre à connaître Juanita, c’est comprendre son cheminement interne qui la mène d’une rage de vivre exacerbée à l’apaisement et à l’écoute de soi. Son récit est celui d’une petite fille devenue adulte trop tôt, d’une militante qui a dû se battre toute sa vie pour s’affirmer dans un monde d’hommes, d’une mère aimante et d’une femme de 60 ans toujours capable de faire le grand écart. Le tout avec la fibromyalgie pour fardeau. Vamos !

« J’aurais voulu être professeure d’espagnol. À 17 ans, j’ai eu le bac et je suis partie dans une école de langues à Valence, mais mon père m’a demandé de rentrer en France. Il était malade d’un cancer. On l’a eu trois ans à la maison. Je m’occupais de lui. Dans les derniers temps, il ressemblait à un déporté d’Auschwitz et il est mort à 42 ans. J’avais 20 ans. À la suite de son décès, ma sœur aînée est partie et je me suis retrouvée toute seule avec ma maman qui ne travaillait pas, mon petit frère et ma petite sœur. Il a fallu que je bosse. C’était à moi de mener la famille. »

À l’image de beaucoup de personnes atteintes de fibromyalgie, Juanita a connu une enfance difficile. « Mes parents s’aimaient énormément mais se battaient aussi. Et nous, enfants, étions pris en otage. » Fille de parents immigrés d’Espagne et deuxième d’une fratrie de quatre frères et sœurs, elle doit très vite prendre de grandes responsabilités. À la suite du décès de son père, Juanita travaille d’arrache-pied. Les douleurs ? Elle les ressent depuis toujours mais n’a pas le temps de s’en plaindre. Il faut bosser.

“ Je me suis mise à prendre des cachets de Lexomil par poignées devant tout le monde et personne n’a rien vu. ”

        Animée par sa volonté de subvenir aux besoins de sa famille, elle tient un rythme effréné pendant trois ans. Elle souffre en silence et le manque de reconnaissance de ses proches la peine énormément. À tel point que, un jour, elle est à deux doigts de commettre l’irréparable. « Un matin, alors que nous déjeunions tous ensemble, je me suis mise à prendre des cachets de Lexomil par poignées devant tout le monde et personne n’a rien vu. Après avoir ingéré tout ça, je pars bosser et, dans la matinée, je sentais bien que quelque chose n’allait plus. Mais je ne laissais rien transparaître. Et à un moment, j’ai pensé à mon petit frère et à ma petite sœur. Je me suis dit qu’ils seraient vraiment dans la mouise sans moi, alors j’ai appelé à l’aide. J’ai atterri aux urgences. Je suis restée à l’hôpital cinq jours. Et pendant ces cinq jours, j’étais toute seule. On n’en parlera jamais avec ma mère jusqu’à sa mort. »

« C’est à ce moment que j’ai compris qu’il fallait que je parte de la maison et que je construise ma vie. » Animée par ce nouveau désir, Juanita prend son projet à bras-le-corps. À 23 ans, elle trouve un travail d’assistante de direction trilingue, à 24, elle rencontre l’homme de sa vie, à 25, elle se marie et, à 26, elle devient maman. Les douleurs ? « Je continue d’avoir mal mais ma fille était ma priorité. Je me dis : “Tu dois donner à ta fille tout ce que tu n’as pas eu” ; à savoir communication, confiance, amour, câlins. Je voulais être exemplaire. »

“ Vous avez licencié la standardiste, mettez-moi au standard, ça me va très bien ! ”

Il n’en est pas autrement au travail. Il faut qu’elle soit irréprochable, car cette fille de communiste lutte quotidiennement contre les pratiques abusives de sa direction. Elle n’est plus encartée, mais fait vite office de petit syndicat à elle toute seule. Pendant dix ans, son patron tente de la faire craquer. Morceau choisi : « Un jour, je reviens d’un congé maladie et mon patron me dit : “Désolé, on ne s’attendait pas à ce que vous reveniez, vous pouvez rentrer chez vous”. Je lui réponds : “Non non, vous ne voudriez quand même pas que je fasse une faute, passez-moi un balai, je vais balayer la cour, si c’est ça””. Son patron refuse, mais Juanita insiste pour rester. “Vous avez licencié la standardiste, mettez-moi au standard, ça me va très bien. Je suis restée six mois au standard. Je n’ai pas craqué et j’ai fini par retrouver mon poste ». Les douleurs ? « J’avais de la rage dans les tripes. Il fallait qu’en tant que femme je m’impose dans ce monde d’hommes. J’étais en guerre constante, je ne voulais pas sentir mes douleurs. »

Pendant dix ans, Juanita travaille, mène des grèves, éduque ses deux filles, fait du sport et s’investit dans des projets associatifs. « Je n’arrêtais jamais, et justement si on n’arrête jamais, c’est pour ne pas penser à quoi que ce soit. » En 1991, alors qu’elle a 33 ans, elle est licenciée pour faute grave par son employeur : « un motif totalement mensonger ». Le coup est dur ! Elle est hospitalisée trois semaines en maison de repos. Ses douleurs et la fatigue prennent le dessus… un temps. Puisqu’elle réussit finalement à obtenir une requalification en licenciement économique.

Commence une période délicate. « Pendant trois ans, les douleurs s’accentuaient, j’étais à la maison. J’étais dans un état de fatigue psychique et physique épouvantable, mais il fallait que je me raccroche à quelque chose. Alors je me suis accrochée à mon bureau et j’ai cherché du boulot pendant trois ans de 8 h à 18 h. J’ai trouvé des missions, de l’intérim, etc. Et enfin, j’ai réussi à obtenir un CDI. Je ne voulais pas lâcher, pour moi, une femme doit travailler. »

“C’était la fibromyalgie. Quel soulagement !”

On est en 1994 et Juanita débarque sur une nouvelle planète professionnelle. « Mon directeur était merveilleux ! » Elle s’apaise enfin, son environnement est bienveillant, elle n’a plus de raison de se battre. C’est à ce moment-là qu’elle découvre qu’elle ne va pas bien. Absorbée par son travail, elle a toujours du mal à s’écouter, mais son directeur l’exhorte à prendre soin d’elle. Juanita commence tout doucement à chercher les raisons de son mal. Pendant des années, elle fait des bilans avec son médecin. Elle cherche mais ne trouve rien. Et un jour, elle consulte un autre médecin qui entame la discussion par une question simple : « Comment allez-vous ? » À son habitude, Juanita répond : « Ça va ». « Non, ça ne va pas sinon vous ne seriez pas ici. Dites-moi ce qui ne va pas. » Et Juanita se livre enfin. « Plein de choses me sont venues en tête : “Voilà, j’ai des douleurs, des coups de fatigue. Le matin quand je me lève, j’ai du mal à poser les pieds par terre, j’ai du mal à faire du sport”. Il regarde sur Internet, il trouve une page, me la montre et me dit : “Juanita, regardez.” C’était la fibromyalgie. Quel soulagement ! » Il est temps. La scène a lieu début 2014.

Juanita est soulagée, mais fait peu cas de cette information. Elle a autre chose en tête. Sa mère est décédée peu de temps avant, en décembre 2013. Tout son passé remonte, elle sent la dépression poindre en elle. Alors, à son habitude, elle ne s’écoute pas, au contraire, elle accélère le rythme et travaille plus que jamais. Les douleurs ? « Épouvantables, mais je ne voulais pas y penser. » Et six mois plus tard, alors qu’elle arrive devant son poste de travail, elle ne trouve plus les codes de son ordinateur. D’ailleurs, elle ne sait même plus comment elle s’appelle « Le gros bug. Là, j’ai très mal, et enfin je me décide à prendre rendez-vous au centre de la douleur de l’hôpital Saint-Antoine. » Entre-temps, comme elle le faisait pour son travail, Juanita se met à étudier avec acharnement la fibromyalgie. « Le jour du rendez-vous, je n’apprends pas grand-chose ; j’avais tellement potassé le sujet sur Internet. » Juanita a 56 ans, elle comprend enfin que “prendre soin d’elle” est sa priorité.

“C’est la première fois que je demande de l’aide. Je ne peux plus travailler.

« C’était ma nouvelle raison de vivre. Je demande l’invalidité catégorie 2. J’étais exténuée, je savais que je ne pourrais plus travailler. J’étais au bout du rouleau mais je savais où j’allais. Je savais ce que je devais faire : m’occuper de moi. Je me présente devant le médecin du travail et je pleure comme une madeleine. Je lui dis : “C’est la première fois que je demande de l’aide ; je ne peux plus travailler”. J’avais apporté les comptes rendus du centre de la douleur et il m’a vue tellement en mauvais état qu’il m’a dit : “Oui, je vous mets tout de suite en catégorie 2”. C’était l’évidence, il fallait que je m’occupe de moi. J’en avais fait beaucoup. Quand je regarde en arrière, je me dis que j’ai vécu plusieurs vies. »

La “machine” Juanita est lancée vers son nouveau projet. Alors, elle s’entoure. « Si on doit garder une image, je ferais un grand cercle, dont je serais le centre, où je mettrais le sport, la thérapie, le kiné, l’ostéopathe, tous ces gens qui t’aident à supporter tes souffrances. Et le sport, il faut continuer à faire du sport, alors oui, ça fait mal, mais rien qu’un petit mouvement dans ton corps, ça change tout. Le sport, c’est la clef pour la fibro. »

Et aujourd’hui ? « Ça fait un an que je suis bien. Je suis très bien, même. J’ai 60 ans, donc il me reste vingt ans à vivre et il n’est pas question que je passe mon temps à me plaindre, ce n’est pas moi, ça. Aujourd’hui, j’arrive à me soigner de façon tout à fait intelligente et je peux m’éclater. La vie est belle ! » Et, comme toujours, Juanita a un projet en tête. « Je viens d’hériter de ma maman notre maison familiale en Espagne, à côté de Castellón de la Plana (pays valencien). Mon rêve est de faire revivre cette maison avec mes filles, petits-fils, neveux et nièces. Il faut toujours avoir des projets, c’est comme ça qu’on reste jeune. »

Que conseillerait-elle à une personne qui solliciterait son écoute ? « Je lui dirais de faire du sport, c’est la clef, c’est là que tu te sens bien, parce que lorsque tu as mal et que tu ne bouges pas, tu te sens vieux. » Juanita est une force de la nature, mais aussi une femme douce et bienveillante. De plus, elle est polyglotte. « Je parle six langues : le français, l’espagnol, l’italien, l’anglais, le catalan… Et le “fibromyalgique” ! »


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